Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.
Ce soir, le premier rameur se situe à moins de 100 milles (180 km) de la ligne d’arrivée sous les îles du Salut. Antonio de la Rosa pourrait couper le ruban dans la journée de dimanche, devenant ainsi le premier espagnol à remporter cette épreuve de la traversée de l’Atlantique à la rame « Rames – Guyane ». Un exploit d’autant plus mémorable lorsque l’on sait ce que les skippers de cette édition ont dû endurer tout au long de leur interminable périple. Compétiteur de la première heure, il se sera battu dès le début de course sans jamais rien lâcher, occupant le groupe de tête quasiment depuis le départ. Fin stratège, il aura su négocier au mieux le passage de cette zone éminemment tourmentée par un maelström géant pour devancer ses principaux rivaux. Tandis que le reste de la flottille préférait une option Sud plus sûre, il tentait lui de filer tout droit à travers cette veine au risque d’être emporté trop au Nord. Mais grâce à des vents de Nord-Est revenus sur zone, il est parvenu à franchir ce dernier obstacle quasiment sans modifier son cap, ce qui lui procurait alors une confortable avance sur ses poursuivants les plus immédiats, Olivier D. au Sud-Est et Laurent à l’Est. Avec un stock de vivres au plus bas, comme de nombreux autres rameurs à présent, il se dit pressé d’arriver et de terminer de la plus belle manière qui soit cette belle aventure.
Parmi le groupe de ses poursuivants, Richard Perret se réjouit aussi de se rapprocher de la terre ferme. Il se remémore toutes les étapes de son voyage notamment ce moment de plénitude lorsqu’enfin, après de longues journées d’attente dans l’Anse Bernard à Dakar, une fenêtre météo favorable lui permettait enfin de prendre le Large vers les Amériques. Il se souvient aussi de toutes les émotions de cette aventure à 360° où les rameurs seront en effet passés par toutes les humeurs et par tous les cardinaux, l’Ouest restant incontestablement leur préféré. Ce soir, il est talonné par Salomé qui navigue à moins de 6 milles de lui.
Un peu plus près des côtes et du Cap Orange qu’il pourrait distinguer demain sur son bâbord, Olivier Ducap continue de se battre et espère arracher une place sur le podium, ce qui reste parfaitement envisageable. Il pense trouver près du rivage des courants plus rapides que ceux prévus par les cartes et ainsi conforter son avance sur le petit groupe qui le menace par le Nord. Mais bien au-delà de ces considérations de course, il lui tarde surtout de retrouver ses proches au plus vite.
Au nord, le groupe des trois mousquetaires est en train d’amorcer sa descente à travers la zone tourmentée. Rémy a déjà infléchi son cap et profite au maximum de ce courant pour descendre au sud et viser une position aux alentours du 5ème parallèle et du 48ème méridien. De là, selon les conditions de vents dont il disposera alors, il ajustera sa route soit pour poursuivre encore un peu dans le Sud (en cas de vents d’Est faibles), soit en virant vers l’Ouest à travers la veine de courants (en cas de vents de Nord-Est) sur les traces du rameur madrilène. C’est aussi la stratégie d’Olivier M. et de Patrice C. (Alias Mac Coy) qui le suivent de près. Le rameur de Pont l’Abbé commence à ressentir une grande fatigue et se réjouit de savoir la terre chaque jour un peu plus proche. La visite d’oiseaux qu’il n’a encore jamais vu lui semble être un signe de cette proximité. Malgré un ciel gris, il profite de chaque instant de son périple et se régale des visites qu’il reçoit, hier un globicéphale et sans doute encore d’autres rencontres à venir.
Didier, son compatriote bigouden s’est remis d’un gros passage à vide il y a quelques jours alors qu’il luttait contre des vents de Sud-Est. Il s’étonne de cet univers qu’il traverse, avec ses averses qui peuvent durer plus de trois jours sans discontinuer et ces couleurs qui n’appartiennent qu’au poteau-noir déchiré par des ciels immensément perturbés. Et pourtant, malgré cette nébulosité, il a eu le privilège exceptionnel pour un marin au long cours d’apercevoir le fameux rayon vert, ce spectre furtif qui se produit à la faveur d’un phénomène de réfraction pendant 1 à 2 secondes juste au-dessus du soleil couchant sur l’horizon. La visite récente d’une baleine au souffle puissant fut aussi un moment fort et une émotion intense. Ces instants rares constituent autant de bonnes raisons de savourer cette aventure malgré ses nombreux tourments. Didier a désormais retrouvé le moral et son allure s’en ressent, il pourrait bien accrocher enfin cette veine du Sud qu’il convoite depuis si longtemps, c’est en tout cas tout ce que lui souhaitent les nombreux observateurs admiratifs qui ont suivi son audacieuse épopée.
Quant à son compagnon de route, Patrice M., celui-ci a réussi à s’extraire de ce puissant flux qui l’avait propulsé vers le Nord et souhaite repartir à nouveau à la conquête de cette voie du Sud. Il sait que le voyage jusqu’aux îles du Salut lui prendra encore plusieurs semaines et mais il s’en accommode et faire preuve d’une remarquable détermination à accomplir ce défi transatlantique qu’il s’est assigné quel que soit le temps qu’il lui faudra pour cela.