Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.
Antonio de la Rosa, le rameur madrilène conserve la tête de la course et se dirigerait vers une possible victoire, mais sa trace inquiète nombre d’analystes qui le voient emporté par la puissante veine du courant sud-équatorial qui le pousse vers le Nord et qui pourrait l’empêcher de franchir la ligne d’arrivée. Toutefois, ne s’agirait-il pas plutôt d’une fine stratégie de la part de cet aventurier aguerri ? Celle-ci viserait à profiter le plus longtemps possible des faveurs de ce courant avant de plonger dans la zone qui précède l’arrivée où les courants paraissent moins forts. Pour l’instant, il se trouve encore au sud de la latitude des îles du Salut et a maintenant atteint l’autre côté de la veine dont il a quitté le flux principal. Il s’est donc extirpé en grande partie du risque de dériver au Nord à moins de subir un nouveau souffle de Sud-Est à la faveur d’une énième remontée de la ZIC. Le paradoxe de cette aventure réside dans sa capacité à nous surprendre chaque heure en dépit de la vitesse très lente de ces bateaux.
Malgré tout, les skippers à l’avant nous ont aujourd’hui surpris par leurs pointes de vitesse à près de 5 nœuds. A ce rythme, les 3 ou 4 degrés qui les séparent de la délivrance vont être rapidement parcourus et il se pourrait même que le premier n’attende pas la fin du week-end pour poser le pied à terre ainsi que le prévoit Pierre Verdu.
Pour Rémy et ses deux compagnons de route, Patrice (alias Mac Coy) et Olivier M., il faudra encore patienter un peu mais ce moment du passage de la ligne qu’ils attendent désormais tel un graal ne devrait plus trop tarder. Il leur faudra s’armer de courage pour franchir comme l’équipe qui les y a précédé cette fameuse zone de courants traversiers qui leur barrent la route. Pour Rémy dont l’étrave effleure ce soir la bordure de ce courant, ce franchissement pourrait être l’affaire de trois à quatre jours. Il franchira alors la veine du courant sud-équatorial sous le 5ème parallèle pour ensuite filer vers les îles du Salut. Pour l’heure, il apprend à redoubler de vigilance avec cette mer qui s’est à nouveau invitée à son bord par le petit hublot qu’il avait malencontreusement laissé ouvert. Avec une voix enrouée qui trahit une réelle fatigue, il avouait ce soir que cet événement fut difficile à vivre. Il s’en est remis moralement mais il est temps qu’il termine ce long voyage. Il espère pour les jours à venir que « Neptune et Eole » seront plus sympas avec lui pour le pousser comme aujourd’hui vers la Guyane.
Partisans de l’autre voie, celle du Sud, Catherine la malouine file à bonne allure et espère doubler ses amis du Nord pour terminer dans les dix premières places du classement. Elle évolue pour l’heure sous la pluie et ne devrait plus tarder à amorcer son virage avant de remonter tranquillement vers le Cap Orange et le Delta de l’Oyapoque. Elle souhaite emprunter à son tour le « tapis roulant » dont elle sait qu’il a d’ores et déjà profité aux avant-postes de la flottille. Elle craint de ne pas arriver avant Noël et se réserve pour l’occasion une bouteille de bon vin qu’elle a précieusement gardé. Elle promet d’être là avant l’Epiphanie. Dans son Nord, à moins d’une centaine de milles, Olivier B. est en proie à des vents tourbillonnants qui ne lui laissent aucun répit sous peine de remonter au Nord. Malgré tout, il trouve le temps de s’informer de ce qui se passe autour de lui et se réjouit notamment qu’Antonio puisse éventuellement apporter une touche castillane à l’histoire de la course.
Sans perdre sa bonne humeur, Matthieu Martin n’est maintenant plus très loin à l’Est, traçant sa route tranquillement mais sûrement à travers ce dédale de courants tourmentés. Il compare la mer à une vieille dame espiègle qui jouerait avec le sort des rameurs. Restant philosophe comme à sa coutume, il reconnaît malgré tout qu’après 61 jours de solitude, la compagnie de ses proches et de ses amis commence sérieusement à lui manquer.