J57 – Temps contre nourriture, l’équation des rameurs

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

A quelques encablures des côtes guyanaises, c’est maintenant le temps – celui qui passe et qui entame chaque jour le stock de vivres – qui fait le plus défaut aux rameurs. Temps contre nourriture, voilà précisément l’équation brute à laquelle plusieurs skippers sont cruellement confrontés. Le passage de la ligne nécessite même pour les plus proches au minimum une semaine de navigation et encore beaucoup d’énergie à dépenser. Sans un apport conséquent de calories, difficile d’imaginer des journées entières aux avirons d’autant plus si des courants contraires continuent de jouer ainsi avec le sort de nos marins. Autrement dit, pour terminer leur traversée, les skippers ont besoin de temps et par conséquent de nourriture en quantité suffisante pour le nombre de jours qu’il leur reste à naviguer. La pêche ne constituant pas une solution viable, tout au plus un complément, cette situation suppose nécessairement un ravitaillement en mer, et donc une assistance. Tous, à commencer par les rameurs, savent très bien qu’une telle assistance n’est pas conforme au règlement de l’épreuve. Pour autant, il n’est pas concevable de laisser en mer des marins sans nourriture. Que faire alors ? Difficile de répondre d’autant plus qu’un tel scénario ne s’est jamais produit au cours des précédentes éditions. L’envoi sur zone d’un navire ravitailleur pour ceux qui en auraient besoin ne constituerait-il pas une première piste de solution ? Ceci n’est que la proposition d’un observateur attentif mais à défaut de disposer d’autres hypothèses concevables sur un plan matériel, il est difficile pour l’heure de suggérer une autre solution qui convienne aux rameurs désormais confrontés à la dictature du temps.

Positions et courants au 14 décembre

Positions et courants au 14 décembre

Cette situation de pénurie affecte autant les partisans de la route du Nord que ceux de la route du Sud. Toutefois, la combinaison des remontées de la ZIC et de ses vents de Sud-Est avec ce fort courant traversier a considérablement complexifié la tâche des nordistes. Dans ce contexte d’immobilisme qui s’éternise, le moral est légitimement affecté au point d’en perdre le sens de la course. Si Salomé implore les éléments, et notamment la ZIC, de les laisser passer, eux qui ont donné tant d’efforts pour en arriver là, Jean-Pierre et Laurent traversent une passe plus difficile et préféreraient que la traversée se termine maintenant sans classement avec une assistance généralisée pour tous les skippers. Certes, ils savent que les conditions peuvent s’améliorer mais à force d’attendre, ils ressentent un profond ras le bol qui altère sensiblement leur motivation. L’aventure qu’ils étaient venus chercher ne devait jamais durer aussi longtemps.

Mais cette aventure s’illustre de ses paradoxes car à l’arrière, au plus loin de la Guyane, Gérard sur son bateau jaune continue d’afficher une étonnante bonne humeur avec la philosophie du marin qui a désormais accepté son sort de marin au très long cours. Il y a longtemps qu’il n’a plus aucune velléité de classement, seule la réussite de sa traversée lui importe, quel que soit le temps qu’il lui faudra. Il rationne sa nourriture et s’offre quelques compléments grâce à la pêche à laquelle il s’adonne de plus en plus. Avec humour, il en appelle au supermarché de son village pour une livraison à « domicile », au milieu de l’océan et nous relate son étonnante expérience d’un feu de Saint-Elme sur ses antennes lors du passage d’un orage. Il vit son aventure au gré de ses surprises et paraît désormais faire corps avec les éléments.

 

Devant lui, Olivier M. trouve lui-aussi le temps long et aimerait arriver au plus vite pour retrouver ses proches mais il parvient malgré tout à mesurer les paramètres qui caractérisent sa situation : Son bateau, le plus récent de la flottille, se comporte bien, ses équipements fonctionnent parfaitement et son stock de nourriture reste suffisant pour tenir quelques semaines. Il pense en conséquence pouvoir rester encore un peu en mer. Lui aussi n’a aucune ambition de conquérir une place au classement, il aimerait simplement pouvoir achever sa traversée même au risque de ne pas couper exactement la ligne d’arrivée officielle. Dans cet esprit, il s’interroge et nous sollicite sur l’opportunité d’un contournement par le nord de la zone tourmentée. Les cartes Mercator qu’il reçoit à bord lui ont suggéré cette idée. Il sait que cela comporte des risques de dépasser la longitude des îles du Salut mais il l’accepte et rappelle que son objectif principal reste de rallier l’Afrique aux Amériques, quel que soit son point de contact à la côte. Les jours à venir seront déterminants pour affiner ses choix et choisir la stratégie qui lui apparaîtra la plus crédible. Rémy et Patrice (Mac Coy), ses deux compagnons de route, naviguent pour l’instant dans le même cap, droit vers cet inéluctable point de contact avec le maelström.

 

Décidément, cette aventure aura été riche en rebondissements tout au long de son déroulement et c’est au plus près des côtes guyanaises que cela atteint son paroxysme avec une configuration d’une rare complexité qui place les rameurs dans des situations très particulières difficiles à gérer sur le plan moral. Quelle que soient les décisions qui seront prises par les uns et les autres, l’exploit que ces femmes et ces hommes ont d’ores et déjà accompli est immense et suscite l’admiration auprès du plus grand nombre.

 

2 réflexions sur « J57 – Temps contre nourriture, l’équation des rameurs »

  1. Ping : Nouvelles du 14 décembre | Un défi pour traverser ensemble

  2. Courage Rémy,tu y arriveras.nous te suivons depuis ton départ.que d’évènements vécus qui nous tiennent en haleine.faire corps avec la grande bleue,fantasque,dangereuse,mais aussi source de ravissement,doit t’exalter de manière tres intense…

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