Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.
C’est désormais ancré dans tous les esprits, les premiers rameurs n’arriveront pas avant le 15 décembre comme nous l’espérions tous il y a encore quelques jours. Les prévisions les plus optimistes laissent désormais entrevoir un créneau entre le 20 et le 22 décembre et un étalement des arrivées jusqu’au 10 janvier environ. Repoussés au départ, ballottés au milieu de l’océan et maintenant malmenés si près de l’arrivée, cette traversée n’aura décidément rien épargné aux rameurs. Certes, l’aventure n’en est que plus belle, mais on se demande malgré tout où ces femmes et ces hommes parviennent à puiser la volonté et la force morale pour tenir coûte que coûte face à cette adversité permanente. Salomé nous parle alors de « cœur et de courage », le cœur et l’affection de tous qui la soutiennent et dont les encouragements l’aident à trouver l’énergie et le courage de continuer. Ces dernières 48 heures auront été pour elle et ses deux complices Jean-Pierre et Harry, particulièrement éprouvantes. Voir son bateau emporté contre son gré vers le Brésil sans ne rien pouvoir y opposer provoque un profond sentiment de frustration et une rage incommensurable. Mais ces trois-là savent heureusement très bien ce qui se passe. Avec leur sensibilité à fleur de peau, ils décryptent mieux que quiconque la situation qu’ils subissent actuellement et espèrent sortir très bientôt des griffes de ce courant traversier pour enfin attraper le courant Sud-équatorial qui lui succède au Sud.
Laurent dispose lui-aussi de la même lecture objective et rationnelle. Il relativise sa première place au classement du jour et reste conscient que le franchissement de ce courant constitue un passage obligé. L’obstacle barre toute la route et il n’y pas d’autre chemin pour rejoindre la Guyane. Ramant sans relâche des heures durant, il a conservé son cap à l’Ouest le plus longtemps possible afin de repousser l’échéance et de trouver le meilleur passage. Mais il semble ce soir que son étrave ait mordu ce courant et qu’il ait amorcé à son tour la descente vers le sud, dans le sillage du trio de tête qui l’y a précédé. Antonio et Richard le suivront très probablement dans cette singularité, tout comme Rémy, Patrice (Mac Coy) et Olivier M. dans quelques jours sous réserve que de nouvelles surprises ne viennent pas élever d’un nouveau niveau le degré de complexité de ce passage.
Partisan de la route du Sud, Philippe peine à trouver les meilleurs réglages de son bateau au milieu de cette zone brassée par un capharnaüm de courants antagonistes. Lui qui parvenait jusqu’alors à optimiser sa navigation pour économiser son temps passé aux avirons se voit maintenant contraint de se mettre à ramer de manière plus assidue afin de garder son cap vers l’ouest et espérer toucher les courants favorables. Depuis trois jours, Gérard est lui aux prises avec des courants peu enclins à le laisser filer vers la Guyane. Après avoir opté dans un premier temps pour l’option Sud, on lui conseille à présent de reprendre la route du Nord. Avec philosophie, il plaint le calvaire des routeurs confrontés à des décisions difficiles à prendre dans cette configuration. Il ne croit pas si bien dire. Encourager un rameur à choisir une stratégie plutôt qu’une autre n’est pas sans conséquence, surtout lorsque celle-ci s’avère infructueuse. Pas un routeur ne peut s’enorgueillir de n’avoir pas vécu cette crainte au point d’en avoir le sommeil difficile et de redouter la découverte de la carte des positions chaque matin. Dans une situation qui affecterait sensiblement le moral du plus grand nombre, Gérard parvient lui à ironiser en espérant arriver avant le Carnaval de Guyane qui débute le 10 janvier prochain. Il a d’ores et déjà procédé au rationnement de ses stocks de vivres dans la perspective d’une arrivée aux alentours du 12 janvier. Sa force morale et sa ténacité forcent et respect et mériteraient vraiment que les éléments se mettent enfin à le porter de manière franche et généreuse vers la Guyane.
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