Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.
De nombreux observateurs, novices mais aussi coutumiers du fait maritime, s’interrogent sur les sentiments qui peuvent traverser l’esprit de ces rameurs du grand Large isolés au milieu d’un si vaste espace-temps. Difficile de leur répondre tant la matière à décrire se trouve éloignée de toutes nos conventions et repères de terriens ou de marins aux navires trop gros ou trop rapides pour être vraiment sensibles à l’océan. Voilà 46 jours, à peine un peu moins pour certains, qu’ils sont loin de la côte et de leurs proches, en proie à de telles émotions que leur mémoire s’est durablement remplie d’images et de sensations si fortes qu’elles ont pris la place de nombreux autres souvenirs. Le cerveau n’est plus assez grand pour tout conserver, les peurs et les joies de la traversée dominent par leur intensité toute l’arborescence de leur propre carte du Monde, les repères en sont profondément bouleversés. Imaginons par exemple ce qui peut passer par la tête d’un marin solitaire lorsqu’après 40 jours de mer, le vent et la mer se mettent à mollir plusieurs jours durant jusqu’à ce que la surface de l’océan devienne lisse et reflète lors d’une nuit sans lune l’intégralité de la voute céleste comme si vous vous trouviez subitement dans un monde onirique multidimensionnel. La sensation que cette situation vous procure est indescriptible, et endémique de cette situation si particulière à bord d’un si petit bateau immobile, mélange d’effroi et de fascination. Seul le bruit de votre cœur qui bat et de votre cerveau qui bouillonne trouble ce silence qui vous emplit de toutes parts, vous n’osez plus bouger dans votre cockpit de peur qu’un seul de vos mouvements ne viennent troubler cette quiétude infinie par une simple ondulation de la coque. Des expériences aussi intenses, les rameurs de cette aventure en ont tous vécu, telles cette rencontre exceptionnelle avec un requin baleine pour Olivier B., cette compassion de quelques-uns pour les dorades coryphènes tant elles leur font d’agréables compagnons de voyage ou encore cette attente moite et obscure au milieu de la tourmente d’un grain violent … La traversée n’est faite de rien de moins que tout cela et on ne peut pas prélever le meilleur morceau en refusant le reste. Il faut en accepter les tourments pour en vivre la quintessence.
Mais cette thérapie du Large aussi peu disposée à se conformer aux considérations humaines peut emporter avec elle nombre d’esprits fragiles ou trop sensibles. La littérature maritime abonde de récits de marins aux âmes définitivement égarées après de trop longs voyages en mer, telle l’histoire de la sirène Néréide de Guillaume le Clerc qui « chante d’une voix si belle qu’elle ensorcelle les âmes par son chant, enseigne à ceux qui doivent naviguer à travers ce monde qu’il leur est nécessaire de s’amender ». Après un tel périple, si loin de tout, les marins doivent rester vigilants et ne pas s’abandonner à une relation trop contemplative qui pourrait les faire dévier de leur objectif. Malgré tout ce qui les entoure, la lucidité reste la meilleure alliée en toutes circonstances.
A observer le calque des positions des skippers sur la carte des courants du jour, tous ces questionnements ont aujourd’hui un sens particulier. Quelle signification peut avoir ce ralentissement aux avant-postes de la flottille ? Seraient-ce les prémices de ces turbulences que l’on annonce aux marins depuis quelques semaines ou un simple vent du sud ? Comment leurs bateaux vont-ils réagir dans ce maelström aux dimensions surprenantes ? Cela va-t-il affecter leur capacité à couper la ligne d’arrivée sans se faire éjecter à l’ouest vers les Antilles. La carte du jour est étonnante. Pour la première fois, la trace rectiligne des éclaireurs nordistes s’est interrompue. Harry nous le confirme et nous parle d’une première journée difficile depuis longtemps. Peut-être ne s’agit-il que d’un sursaut anecdotique mais alors pourquoi Jean-Pierre est-il ainsi parti vers le nord ? Est-ce volontaire le signe que l’on entre dans une nouvelle zone aux forces que même nos outils de prévisions ne permettent pas de déceler clairement ? L’évolution des jours à venir nous en dira sans doute un peu plus. D’ores et déjà, plusieurs skippers un peu plus à l’arrière s’interrogent sur la meilleure option à adopter. Patrice et Catherine se donnent quelques jours, Olivier B. pense qu’une route médiane reste possible , entre l’option complètement au Sud et la route du Nord. Rémy de son côté préférerait ne rien changer à sa route actuelle et choisit d’attendre encore un peu en espérant une évolution favorable des vents et des courants. Naviguant bord à bord, Olivier M. et Matthieu observent eux à distance ce qui se passe à l’avant et savent que tout peut encore évoluer dans les jours qui viennent. Comme le dit très bien Matthieu, ils sont en passe de franchir le « milieu de nulle part » et s’en suffisent pour se réjouir.
Les commentaires de Mathieu reflètent exactement ce que je ressens.
Rémy, tu expérimentes concrètement le « creux de la vague ». La terre se rapproche un peu chaque jour mais le chemin est encore long pour toi et ceux, nombreux, qui t’attendent.
Nous serons heureux de t’entendre parler des levers et couchers de soleil sur l’océan, des silences, mais aussi du bruit des vagues cognant la coque etc…
A plus tard et bons vents, bon courants !
Enfin le JT de midi du 3/12 a parlé de votre course….. il était temps. Bonne route Rémy la terre se rapproche tout doucement. Bisous