Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.
Comme à chacune de ses vacations, Matthieu à bord de « Lilo Solitaire – Solidaire » résume parfaitement bien le ressenti d’un rameur solitaire au milieu de l’Atlantique. Chacun vit bien entendu son aventure avec sa propre sensibilité mais l’ambiance du Large est la même pour tout le monde, certes plus ou moins favorable, certes plus ou moins calme ou chahutée, mais avec des journées qui s’enchaînent et qui ne se ressemblent pas. De l’extérieur, on pourrait croire que l’océan reste figé, toujours le même, n’inspirant rien d’autre que l’ennui et la lassitude. Il n’en est rien, le ciel et la mer enfantent chaque jour un monde différent, où chaque détail a son importance, la forme et le type des nuages, annonciateurs de vents ou de pluie, la couleur de la mer et le profil des vagues précédant la houle ou le clapot, la lumière omniprésente et jamais semblable. L’intensité de cet univers profondément imprévisible empêche aux marins toutes formes de spleen ou de mélancolie, il s’impose même aux esprits les plus hermétiques.
A force de convoiter les Alizés, seules les conditions trop clémentes de ces jours derniers pourraient les ennuyer mais en fait, cette situation qui s’éternise les agace bien plus qu’elle les ennuie. Cela devrait bientôt changer, on l’espère dès demain. Il se pourrait qu’au nord-ouest de la flottille, on ait d’ailleurs déjà ressenti le souffle bienfaiteur des Alizés. Cette configuration nouvelle imposera aux rameurs de redoubler de vigilance. Après un mois de mer relativement tranquille avec des vents ne dépassant jamais 20 nœuds sauf sous les grains de la ZIC pour Didier au Sud, les rameurs pourraient avoir pris leur aise et quelque peu relâché leur attention, laissant les petits hublots ouverts pour tenter d’aérer et de sécher l’habitacle. Déjà quelques uns se sont fait surprendre par des vagues sournoises venues de nulle part. Si les Alizés s’établissent comme prévu, les vents seront bien plus marqués et la houle formée, les rameurs pourront alors pleinement en profiter mais à la condition de rester sur leurs gardes, une toute autre navigation les attend à présent.
De leur côté, Rémy Landier (n°84) et Olivier Montiel (n°7) ont repris le moral avec une distance de 34,9 milles parcourus lors des dernières 24 h pour le premier et de 30,9 pour le second, en nette progression. Malgré un moral en dents de scie et des soucis physiques persistants (douleurs au bras droit pour Rémy et à l’omoplate pour Olivier), leur progression quotidienne devrait maintenant croître au fil de leur avancée vers l’Ouest.
Le tableau fourni par Pierre Verdu permet de relever précisément toutes les moyennes des skippers. On constate qu’une bonne partie de la flottille a correctement progressé hier et que le classement a évolué, Harry s’emparant de la seconde place et poursuivant sa remontée sur Jean-Pierre. La lecture des données de Pierre demain, et plus encore celles d’après-demain, nous renseignera précisément sur la réalité ou non des Alizés sur les positions respectives de chacun au-delà des informations fournies par les cartes et bulletins météo. Si les marins ne progressent pas sensiblement, il sera difficile d’annoncer la bonne nouvelle aux rameurs, eux qui espèrent tant connaître enfin ces conditions favorables, synonyme d’accélération et de rapprochement des côtes de l’Amérique.
En attendant, tous rament du mieux qu’ils peuvent et occupent le reste du temps à entretenir leur bateau, à l’image de Catherine qui vient de nettoyer sa coque ou d’Olivier M. qui a vérifié que les ailettes de son safran ne freinaient pas son bateau. D’autres profitent de cette isolement pour se plonger dans la lecture ou la réflexion loin de l’agitation du monde dont la plupart des rameurs, sans récepteur multi-bandes à leur bord, ne perçoivent pas même les échos, sinon au travers du filtre des quelques bribes d’infos distillées lors des vacations ou des échanges satellite avec leurs proches.
En revanche, pour les informations de navigation, tous suivent les instructions de leurs routeurs, tel Patrice M. qui applique discipliné les instructions de son talentueux guide océanique (bien le bonjour Charly !) pour qui les subtilités des cartes Mercator n’ont plus de secrets. Les prochains jours devraient connaître une évolution sensible des routes suivies par chacun pour anticiper la mi-course (1073,5 milles) et l’approche du courant sud-équatorial.