J55 – La nature reste la plus forte

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Les positions étonnantes des rameurs sur la carte ces derniers jours inquiètent nombre d’observateurs. Les étraves pointent dans tous les sens et trahissent la présence de forces qui obligent les skippers à se dévier de leur cap. En reprenant les cartes Mercator de la fin du mois d’octobre sur la même zone, on constate que le phénomène était déjà présent au moment du départ. Depuis, les courants ont évolué mais l’ensemble du système conserve globalement le même fonctionnement avec toutefois un net renforcement depuis début décembre. Jusqu’alors, la boucle laissait ouverts quelques passages avec des courants moins forts, mais au fil des jours, le mouvement circulaire s’est refermé précisément au moment où nos marins pointaient leur étrave. Les éléments se seraient-ils ligués cette année contre les rameurs de Rames Guyane ? Pierre Verdu partage le stress qui règne parmi les routeurs et n’en finit plus de refaire ses calculs et ses prévisions au prix d’interminables nuits blanches. A quelques 300 milles de l’arrivée, il est encore très difficile de prévoir une date d’arrivée précise.  Et pourtant, nous n’avons jamais autant disposé d’outils fiables et performants, ni même d’un tableau aussi bien renseigné. Même si nous avons encore un peu de mal à nous y résoudre, il nous faut bien admettre cette année que la Nature reste plus forte. Nous n’avons pas d’autres choix que de composer avec ses humeurs souvent heureuses, quelques fois contraignantes.

Positions et courants au 12 décembre

Positions et courants au 12 décembre

Continuer la lecture

J54 – Cœur et Courage

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

C’est désormais ancré dans tous les esprits, les premiers rameurs n’arriveront pas avant le 15 décembre comme nous l’espérions tous il y a encore quelques jours. Les prévisions les plus optimistes laissent désormais entrevoir un créneau entre le 20 et le 22 décembre et un étalement des arrivées jusqu’au 10 janvier environ. Repoussés au départ, ballottés au milieu de l’océan et maintenant malmenés si près de l’arrivée, cette traversée n’aura décidément rien épargné aux rameurs. Certes, l’aventure n’en est que plus belle, mais on se demande malgré tout où ces femmes et ces hommes parviennent à puiser la volonté et la force morale pour tenir coûte que coûte face à cette adversité permanente. Salomé nous parle alors de « cœur et de courage », le cœur et l’affection de tous qui la soutiennent et dont les encouragements l’aident à trouver l’énergie et le courage de continuer. Ces dernières 48 heures auront été pour elle et ses deux complices Jean-Pierre et Harry, particulièrement éprouvantes. Voir son bateau emporté contre son gré vers le Brésil sans ne rien pouvoir y opposer provoque un profond sentiment de frustration et une rage incommensurable. Mais ces trois-là savent heureusement très bien ce qui se passe. Avec leur sensibilité à fleur de peau, ils décryptent mieux que quiconque la situation qu’ils subissent actuellement et espèrent sortir très bientôt des griffes de ce courant traversier pour enfin attraper le courant Sud-équatorial qui lui succède au Sud. Continuer la lecture

J53 – Le doute n’est plus permis

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

A force de scruter les cartes de courants et leurs effets sur la route des rameurs, certains observateurs commençaient à douter de cette influence des courants en pensant que celle-ci restait modérée et que les vents pouvaient en toutes circonstances les compenser. Mais les rameurs n’ont en fait été observés jusqu’alors qu’au travers de courants faibles ou moyens (blancs et bleus sur l’échelle d’intensité Mercator). Ce qui vient de se passer à l’avant de la flottille nous a rappelé en un instant le souvenir des précédentes éditions lorsque que les rameurs se mirent à entrer dans ces zones fortement brassées. Ce contact eut lieu précisément à 23 h (heure française) la nuit dernière pour Jean Pierre, Harry et Salomé qui furent littéralement aspirés par ce fameux courant traversier redouté depuis quelques jours et dont l’intensité (jaune) semble bien plus forte que celle des courants rencontrés jusqu’alors. A la lecture de la carte du jour, le doute n’est plus permis, l’impact de ces courants dont la vitesse peut dépasser 1 nœud voire bien plus ont donc un impact réel et considérable sur ce genre de bateau. Le contexte actuel alimenté par une rare complexité laisse ouvertes toutes les hypothèses au point qu’il reste difficile aujourd’hui encore de se prononcer sur la pertinence d’une option plutôt que autre.

Positions et courants au 10 décembre

Positions et courants au 10 décembre

Continuer la lecture

J52 – Une nouvelle course commence

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

10848817_738792729545924_104099640334294057_oSur les photos qui nous parviennent du Large de plus en plus nombreuses, on distingue un point commun : les premières tâches de rouille qui apparaissent et les couleurs des bateaux moins vives qu’au départ, comme les marques indélébiles du temps passé en mer. Pour celui qui ne découvrirait que maintenant le périple de nos rameurs sans mesurer l’impact de ces sept semaines déjà passées en mer, ces traces sont malgré tout le signe d’une aventure éprouvante tant pour le matériel que pour les femmes et les hommes qui la vivent. Ces flash visuels venus de l’océan trahissent le visage martelé et le profil amaigri de ceux que l’on va retrouver sur la ligne. A la mesure de cette longue immersion au plus profond d’eux-mêmes, confrontés à des sentiments jusqu’alors jamais explorés, il leur faudra du temps pour revenir au Monde et reconstruire leurs repères de terriens. Tous ceux qui vont les accueillir doivent s’y préparer, le mal de terre est proportionnel à la durée du voyage en mer. Continuer la lecture

J51 – Plus vite sans rien changer

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Moins de 400 milles (740 km) séparent maintenant Jean-Pierre de la ligne d’arrivée. Talonné par ses poursuivants qui se rapprochent inéluctablement, Jean-Pierre qui a mené remarquablement la course jusque-là connaît ces dernières heures un moment de vague à l’âme. Aux avant-postes, il sait que c’est à lui que revient le mauvais rôle d’expérimenter les passages à travers cette zone de courants tourmentée. Lorsqu’il réussit, tout le monde le suit mais lorsqu’il s’égare dans une mauvaise passe, ses poursuivants le savent et contournent l’obstacle en connaissance en évitant ainsi de s’y confronter eux-mêmes. C’est la dure loi de la course qui pourrait vivre son apogée à proximité immédiate de la Guyane, élevant encore d’un niveau le suspense haletant qui règne désormais sur l’événement. Laurent, qui n’est plus qu’à 50 milles de Jean-Pierre commence même à imaginer une arrivée groupée, ce qui selon lui récompenserait de fort belle manière ce petit groupe qui a navigué quasiment bord à bord pendant l’essentiel de la traversée. A l’image de Salomé, qui occupe sans faillir avec un moral remarquable, ces 5 rameurs en tête mènent actuellement une course difficile un peu plus vers l’ouest que prévu, s’adaptant en permanence aux évolutions des courants pour choisir la meilleure passe. Il leur tarde d’attraper enfin les faveurs du courant sud-équatorial pour enfin distinguer dans quelques jours à présent le profil des îles du Salut sur la ligne d’horizon au-delà de leur étrave.

Positions, vents et précipitations au 8 décembre

Positions, vents et précipitations au 8 décembre

Continuer la lecture

J50 – Les radios brésiliennes dans le poste

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Dans ce type de traversée, plusieurs signes traduisent de manière assez agréable le rapprochement des côtes. Il y a quelques jours, ce fut Rémy qui nous indiquait avoir retourné sa carte après que son relevé quotidien l’ait mené jusqu’au pli et qu’il voyait à présent le côté de la Guyane, celui de l’arrivée. Aujourd’hui, c’est Patrice C., alias Mac Coy à bord de la Rebelle, le bateau de J-Pierre Habold, qui nous révèle capter de mieux en mieux sur son petit récepteur multi-bandes les ondes des radios brésiliennes, ce qui constitue la preuve concrète du raccourcissement lent mais inéluctable de la distance qui le sépare encore de la civilisation. Il ne connaît pas la Guyane et a hâte de la découvrir. Comme les autres, il lui tarde à présent de couper la ligne d’autant plus que les vivres à bord commencent sérieusement à s’amenuiser. Richard Perret, de son côté, en a même dressé l’inventaire pour être sûr qu’il pourrait terminer en autonomie. Après un mois et demie « sur la brèche », il s’octroie un peu de repos pour reprendre des forces et affronter cette approche de l’arrivée qui s’annonce musclée pour qui ne veut pas adopter le cap des Antilles plutôt que celui des îles du Salut. Dans ce moment de relative quiétude, il a eu la visite surprise de tout un banc de globicéphales, ce grand dauphin noir sans rostre à tête carrée pouvant atteindre 5 à 6 mètres pour un poids de 2 à 3 tonnes. Curieux par nature, l’animal s’est approché de son bateau pendant un bon moment, lui offrant des instants magiques. Continuer la lecture

J49 – Des paysages dignes d’impressionnistes

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

50 jours ! 50 jours demain que les rameurs de cette édition 2014 de Rames-Guyane auront pris le départ sur ce plan d’eau calme et serein de Dakar ce 18 octobre dernier, loin de s’imaginer ce qui les attendait. Ils ont sans doute complètement oublié ce moment tant leur mémoire déborde d’images, de sentiments et d’émotions fortes. Au moins, si l’océan avait été stable et les conditions régulières, ils n’auraient pas eu à gérer le souvenir de tous ces paysages sans cesse renouvelés, mais non, pas une journée n’a été semblable à une autre, pas une seule fois, ils ont pu espérer que l’installation d’un vent et d’une houle favorables soit pérenne et les conduise jusqu’à la ligne d’arrivée sans autre inquiétude que celle de la force des éléments. Devant les îles de la Madeleine, que pouvaient-ils imaginer en se projetant jusqu’à ce mois de décembre ? Sans doute des soirées conviviales à l’abri au sec en compagnie de leurs proches et de leurs amis à raconter autour d’un bon repas les anecdotes de la traversée. Mais au lieu de cela, ils sont encore au milieu de l’océan avec désormais le risque pour plusieurs d’entre eux d’y passer le réveillon de Noël et peut-être aussi celui de la St Sylvestre. C’est bien une aventure étonnante en effet qui se déroule sous nos yeux et qui chaque jour renforce le mérite de ces forçats de l’aviron.

Positions, vents et précipitations au 6 décembre

Positions, vents et précipitations au 6 décembre

Continuer la lecture

J48 – Un coup de poker

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

Pendant 45 jours, les rameurs de la route du Nord ont lutté contre des vents de Nord et de Nord-Est pour ne pas trop descendre au Sud et tenter de suivre au près la ligne de l’orthodromie. Maintenant qu’ils sont si près de l’arrivée, voilà que des vents du Sud se sont mis à les pousser au contraire vers le nord, bouleversant tout le plan de navigation qu’ils respectaient scrupuleusement depuis plusieurs semaines. Fort heureusement, il ne s’agissait là visiblement que d’une nouvelle incursion de la ZIC (Zone Intertropicale de Convergence) dont le déplacement vers les Amériques ondule du Nord au Sud, ce qui a généré sur la flottille pendant 36 heures des vents de Sud à Sud-Est accompagnés de fortes pluies. Ces conditions ont entraîné une baisse très sensible des distances parcourues et affecté le moral des skippers qui se trouvent à présent confrontés au doute.

Positions et courants au 5 décembre

Positions et courants au 5 décembre

Continuer la lecture

J47 – Une nouvelle option à travers le maelström

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

La situation dans laquelle se trouvent les rameurs au nord-ouest comme au sud-est de la flottille reste délicate. De leurs côtés, les deux sudistes continuent de croire en leur stratégie audacieuse mais commencent à ressentir une certaine lassitude après tant de jours passés si près de cet hypothétique courant sud-équatorial. Patrice trouve la force morale de relativiser et d’indiquer qu’il se situe maintenant juste devant les îles de Salut à 2300 kilomètres des côtes. Quant aux nordistes, ils ont encaissé le premier coup de semonce hier et leur foi infaillible jusqu’alors s’est quelque peu ébranlée même si ils semblent repartis à présent vers la Guyane. Une barrière de turbulences se maintient toujours fermement en travers de leur route et menace de les dévier de leur objectif. Le doute s’est installé, même aux avant-postes. Et si le risque de dépasser la ligne d’arrivée par le Large était bien réel ? Avec un fort vent de Nord-Est, cela paraît peu probable, mais l’expérience de cette traversée nous a démontré une nouvelle fois le caractère particulièrement imprévisible de cette zone de convergence intertropicale. Si l’Europe est le réceptacle de masses dépressionnaires génératrices de fortes précipitations, elle n’en est pas à l’origine comme le souligne très justement Pierre Verdu. Ces masses naissent justement sous les Tropiques avant de traverser toute l’Atlantique Nord portées par le Jet Stream. Prévoir avec exactitude la position d’une bosse ou d’un creux barométrique de la ZIC relève de la mission impossible, même les super calculateurs météo s’y égarent fréquemment. Continuer la lecture

J46 – Isolés au milieu d’un vaste espace-temps

Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.

De nombreux observateurs, novices mais aussi coutumiers du fait maritime, s’interrogent sur les sentiments qui peuvent traverser l’esprit de ces rameurs du grand Large isolés au milieu d’un si vaste espace-temps. Difficile de leur répondre tant la matière à décrire se trouve éloignée de toutes nos conventions et repères de terriens ou de marins aux navires trop gros ou trop rapides pour être vraiment sensibles à l’océan. Voilà 46 jours, à peine un peu moins pour certains, qu’ils sont loin de la côte et de leurs proches, en proie à de telles émotions que leur mémoire s’est durablement remplie d’images et de sensations si fortes qu’elles ont pris la place de nombreux autres souvenirs. Le cerveau n’est plus assez grand pour tout conserver, les peurs et les joies de la traversée dominent par leur intensité toute l’arborescence de leur propre carte du Monde, les repères en sont profondément bouleversés. Imaginons par exemple ce qui peut passer par la tête d’un marin solitaire lorsqu’après 40 jours de mer, le vent et la mer se mettent à mollir plusieurs jours durant jusqu’à ce que la surface de l’océan devienne lisse et reflète lors d’une nuit sans lune l’intégralité de la voute céleste comme si vous vous trouviez subitement dans un monde onirique multidimensionnel. La sensation que cette situation vous procure est indescriptible, et endémique de cette situation si particulière à bord d’un si petit bateau immobile, mélange d’effroi et de fascination. Seul le bruit de votre cœur qui bat et de votre cerveau qui bouillonne trouble ce silence qui vous emplit de toutes parts, vous n’osez plus bouger dans votre cockpit de peur qu’un seul de vos mouvements ne viennent troubler cette quiétude infinie par une simple ondulation de la coque. Des expériences aussi intenses, les rameurs de cette aventure en ont tous vécu, telles cette rencontre exceptionnelle avec un requin baleine pour Olivier B., cette compassion de quelques-uns pour les dorades coryphènes tant elles leur font d’agréables compagnons de voyage ou encore cette attente moite et obscure au milieu de la tourmente d’un grain violent … La traversée n’est faite de rien de moins que tout cela et on ne peut pas prélever le meilleur morceau en refusant le reste. Il faut en accepter les tourments pour en vivre la quintessence. Continuer la lecture