Analyse de Mathieu Morverand, routeur de Rémy et d’Olivier Montiel.
Il est des marins que l’on félicite en raison de leur performance et de leur maîtrise technique, il en est d’autres que l’on admire tant leur détermination et leur simplicité forcent le respect. Chapeau Gérard pour la démonstration de courage que tu nous offres chaque jour. En mer depuis la première heure, tu es allé puiser au plus profond de tes ressources les forces nécessaires pour faire face à ces conditions résolument hostiles. Tu espérais fêter tes 67 bougies à terre en Guyane, mais l’océan en a décidé autrement, c’est avec lui seul que tu partages ce moment à bord de ton petit bateau jaune perdu dans l’immensité. Peut-être cet échange intime l’amènera-t-il vers un peu plus de compassion à ton égard pour qu’enfin, les éléments deviennent complices et décident de te porter toi aussi vers les Amériques. Si la solitude anime ton quotidien, saches que chaque jour qui passe voit grossir le nombre de personnes émues par le combat exemplaire que tu mènes sans jamais renoncer.
Aujourd’hui confronté à un courant qui remonte vers le nord-est, Gérard devrait retrouver en début de semaine prochaine des conditions meilleures qui lui permettraient de poursuivre sa progression vers l’ouest dans le sillage des autres rameurs. Le groupe qui le précède, sur une latitude un peu plus au nord se trouve en proie depuis hier à une mer croisée qui a sensiblement ralenti son allure globale mais il semblerait que les ouvreurs de cette petite équipe aient retrouvé dans l’après-midi une meilleure allure. Les vents oscillent sur leur zone dans un secteur allant du 050° (NE) au 075° (ENE) entre 12 et 17 nœuds, plus faibles au Sud qu’au Nord. Cette configuration devrait théoriquement les pousseur vers l’Ouest, ou en tout cas vers l’WSW, mais les courants de surface sont très changeants comme en atteste la carte ci-dessous et rendent fréquemment la mer croisée. Il est rare en effet que les rameurs bénéficient d’une houle parfaitement accordée au vent. Lors de sa rencontre avec le Léon 2, Olivier M. se montrait euphorique car il disposait justement à ce moment-là de cette configuration idéale. Après 42 jours de traversée, les rameurs préfèrent de loin une mer formée, voire même agitée, sous un ciel couvert plutôt qu’un clapot désordonné sans vent sous un soleil de plomb.
A l’avant de la flottille, Jean-Pierre garde le cap le long de l’orthodromie et attend fébrilement le signal de ses routeurs pour obliquer vers le sud. Il redoute le contact avec ces courants turbulents qui se précisent au-devant de son étrave. Sa stratégie comme celle de tous les rameurs de la route du nord semble être de contourner cette excroissance défavorable du puissant courant sud-équatorial pour ensuite la traverser perpendiculairement à sa base dans sa partie la plus étroite et enfin rejoindre les faveurs du flux tant convoité. Sous un régime de vents bien établis, cette manœuvre délicate pourrait s’envisager de manière à peu près sereine exceptée la houle qui sera musclée, mais dans le cas contraire, le bateau pourrait être à la merci des courants et emporté dans une mauvaise direction ne permettant plus de conserver le cap de la ligne d’arrivée. A une douzaine de jours de l’arrivée estimée, l’angle de la ligne depuis sa position actuelle reste encore très étroit et la visée délicate. Ces courants ne vont pas vraiment simplifier la tâche et Jean-Pierre sait bien qu’il sera observé de très près par ses poursuivants qui pourront adapter leurs stratégies en fonction de sa route. C’est le lourd tribut du leader dans une pareille épreuve. Cela ne l’empêche pas fréquemment de saluer avec fair-play ses adversaires et notamment Salomé qui, avec Catherine, montrent de fort belle manière que cette aventure exceptionnelle se conjugue aussi au féminin. Toutes deux n’ont rien lâché et ne doivent à personne les milles qu’elles ont été chercher un à un avec ardeur et abnégation. Comme pour tous les autres rameurs désormais, il leur tarde de retrouver la terre ferme et leurs proches dont l’affection et le soutien les aident à surmonter leur solitude océanique.
A l’approche du 40ème méridien, les six rameurs en tête vont désormais entrer dans une phase d’approche du nouveau continent tandis qu’un peu plus à l’arrière, on continue de peaufiner ses réglages au mieux à l’image de Patrice (Mac Coy) et de Rémy ou encore de Philippe qui excelle dans la connaissance fine et précise des comportements de son bateau, préférant « naviguer plutôt que ramer », un principe qui lui réussit plutôt bien. Non loin dans le sillage de ce groupe, Olivier et Mathieu font route parallèle à bon rythme, profitant de la moindre opportunité pour accélérer sans trop perdre vers le sud. Au sud justement, deux rameurs ont tenté une route courageuse à la quête du courant sud-équatorial qui aurait pu les mener très rapidement vers la Guyane en contournant toute la zone perturbée. Mais les vents du sud et les facéties de la ZIC ont compromis cette audacieuse aventure et placent désormais Didier et Patrice dans une situation difficile, face à des courants peu conciliants. Espérons que les conditions changent et leur deviennent enfin favorables.
Bisous Rémy. Courage.